Le président de la
Banque africaine de Développement se félicite de la fin d’une Afrique misérable
qui a poursuivi sa croissance de 6% malgré une triple crise, mais déplore que
cette croissance ne soit pas suffisamment partagée, condition sine qua non de
sa soutenabilité.
Le Quorum : Les
Assemblées de la BAD se tiennent à Arusha, en Tanzanie, du 28 mai au 1er juin avec
pour thème « L’Afrique et le nouveau paysage mondial : défis et opportunités ».
Pourquoi ce thème ?
Donald Kaberuka : Pourquoi avons-nous choisi ce thème pour
les assemblées annuelles ? L’Afrique se trouve à un tournant décisif. Depuis
cinquante ans, depuis les indépendances donc, c’est la première fois qu’elle résiste à des chocs extérieurs successifs :
la crise alimentaire, la crise pétrolière
et la crise financière et continue malgré
tout, son chemin de croissance de l’ordre
de 6%. Avant ces crises, beaucoup croyaient qu’elle allait en pâtir comme
toujours. Cela n’a pas été le cas. Un tiers des pays connait une croissance au-delà
de 4,5 %. Une dizaine ont une croissance supérieure à 7%. Il y a même une poignée
qui connaissent une croissance à double chiffres. L’Afrique est, aujourd’hui, l’un
des deux continents qui connaissent la croissance malgré la crise
internationale. Donc ce n’est plus l’Afrique pitoyable, l’Afrique misérable qu’on
était habituée à voir. En Tanzanie, nous allons nous demander ce qu’il faut
faire pour soutenir cette dynamique de croissance.
En effet, je dois reconnaître que malgré cette croissance, la
pauvreté en Afrique recule très lentement. Elle est passée de 57% de la population
en-dessous du seuil de pauvreté à 47%. Une diminution de 10% n’est pas
suffisamment importante. 47%, c’est encore beaucoup trop. Les raisons en sont
différentes. En Tanzanie, il s’agira de voir comment cette croissance peut bénéficier
à un plus grand nombre d’Africains. C’est la question fondamentale parce que si
vous avez une croissance qui n’est pas partagée, elle n’est pas soutenable. La première
condition de soutenabilité de la croissance est qu’elle soit partagée. Il nous
faut donc étudier comment maintenir cette dynamique.
Il y a un deuxième problème lié à celui-là, c’est que dans la
plupart de pays, la croissance est tirée par des matières premières, des ressources
naturelles, le pétrole, le gaz, les mines etc. Pas tous les pays, mais la plupart.
Or vous le savez comme moi, c’est une croissance fragile, car elle se base seulement
sur le sous-sol. Le sous-sol vous donne un héritage, mais il faut bâtir des richesses
sur cet héritage parce que d’abord, il est là pour quelque temps, une dizaine, vingtaine,
une trentaine d’années, mais il s’épuisera tôt ou tard. Je crois qu’en Tanzanie, les deux questions
seront vraiment capitales : comment pérenniser la croissance par un
partage de la croissance, comme pérenniser
la croissance par une gestion de nos ressources naturelles pour éviter les
erreurs du passé.
J’ajoute un troisième élément qui me semble assez important
et qui est au cœur du travail de la banque. Nous sommes un milliard d’âmes sur
le continent africain dans cinquante-quatre pays, je dis bien cinquante-quatre
avec une trentaine de monnaies, des frontières, des règles, des systèmes
différents. Cela nous empêche d’aller plus vite que dans d’autres continents où
l’intégration est plus avancée. Je sais qu’on en parle depuis l’indépendance
mais on va reparler de l’intégration économique de nos pays, qui permettra aux
talents africains de circuler, au business de circuler et au commerce de se
fructifier. Un quatrième élément lié à celui-là,
qui s’est illustré ici en Tunisie. C’est cette richesse qu’est la jeunesse. Aujourd'hui
des pays européens ou en Amérique ou même en Asie, ont une structure d’âge avec
beaucoup de seniors et de moins en moins de personnes qui travaillent. En Afrique,
c’est l’inverse, mais il ne suffit pas d’avoir des jeunes. Il faut les former,
il faut investir dans la jeunesse. Donc à mon sens, si on arrive à prendre en
charge ces quatre questions, la croissance africaine peut être pérennisée. C’est
le défi qui nous attend en Tanzanie.
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