lundi 14 mai 2012

Kaberuka : l’Afrique misérable, c’est fini


Le président de la Banque africaine de Développement se félicite de la fin d’une Afrique misérable qui a poursuivi sa croissance de 6% malgré une triple crise, mais déplore que cette croissance ne soit pas suffisamment partagée, condition sine qua non de sa soutenabilité.
Le Quorum : Les Assemblées de la BAD se tiennent à Arusha, en Tanzanie, du 28 mai au 1er juin avec pour thème « L’Afrique et le nouveau paysage mondial : défis et opportunités ». Pourquoi ce thème ?
Donald Kaberuka : Pourquoi avons-nous choisi ce thème pour les assemblées annuelles ? L’Afrique se trouve à un tournant décisif. Depuis cinquante ans, depuis les indépendances donc, c’est  la première  fois qu’elle résiste à des chocs extérieurs successifs : la crise  alimentaire, la crise pétrolière  et la crise financière et continue malgré tout, son chemin de croissance de  l’ordre de 6%. Avant ces crises, beaucoup croyaient qu’elle allait en pâtir comme toujours. Cela n’a pas été le cas. Un tiers des pays connait une croissance au-delà de 4,5 %. Une dizaine ont une croissance supérieure à 7%. Il y a même une poignée qui connaissent une croissance à double chiffres. L’Afrique est, aujourd’hui, l’un des deux continents qui connaissent la croissance malgré la crise internationale. Donc ce n’est plus l’Afrique pitoyable, l’Afrique misérable qu’on était habituée à voir. En Tanzanie, nous allons nous demander ce qu’il faut faire pour soutenir cette dynamique de croissance.
En effet, je dois reconnaître que malgré cette croissance, la pauvreté en Afrique recule très lentement. Elle est passée de 57% de la population en-dessous du seuil de pauvreté à 47%. Une diminution de 10% n’est pas suffisamment importante. 47%, c’est encore beaucoup trop. Les raisons en sont différentes. En Tanzanie, il s’agira de voir comment cette croissance peut bénéficier à un plus grand nombre d’Africains. C’est la question fondamentale parce que si vous avez une croissance qui n’est pas partagée, elle n’est pas soutenable. La première condition de soutenabilité de la croissance est qu’elle soit partagée. Il nous faut donc étudier comment maintenir cette dynamique.
Il y a un deuxième problème lié à celui-là, c’est que dans la plupart de pays, la croissance est tirée par des matières premières, des ressources naturelles, le pétrole, le gaz, les mines etc. Pas tous les pays, mais la plupart. Or vous le savez comme moi, c’est une croissance fragile, car elle se base seulement sur le sous-sol. Le sous-sol vous donne un héritage, mais il faut bâtir des richesses sur cet héritage parce que d’abord, il est là pour quelque temps, une dizaine, vingtaine, une trentaine d’années, mais il s’épuisera tôt ou tard.  Je crois qu’en Tanzanie, les deux questions seront vraiment capitales : comment pérenniser la croissance par un partage de la croissance, comme  pérenniser la croissance par une gestion de nos ressources naturelles pour éviter les erreurs du passé.
J’ajoute un troisième élément qui me semble assez important et qui est au cœur du travail de la banque. Nous sommes un milliard d’âmes sur le continent africain dans cinquante-quatre pays, je dis bien cinquante-quatre avec une trentaine de monnaies, des frontières, des règles, des systèmes différents. Cela nous empêche d’aller plus vite que dans d’autres continents où l’intégration est plus avancée. Je sais qu’on en parle depuis l’indépendance mais on va reparler de l’intégration économique de nos pays, qui permettra aux talents africains de circuler, au business de circuler et au commerce de se fructifier. Un quatrième  élément lié à celui-là, qui s’est illustré ici en Tunisie. C’est cette richesse qu’est la jeunesse. Aujourd'hui des pays européens ou en Amérique ou même en Asie, ont une structure d’âge avec beaucoup de seniors et de moins en moins de personnes qui travaillent. En Afrique, c’est l’inverse, mais il ne suffit pas d’avoir des jeunes. Il faut les former, il faut investir dans la jeunesse. Donc à mon sens, si on arrive à prendre en charge ces quatre questions, la croissance africaine peut être pérennisée. C’est le défi qui nous attend en Tanzanie.

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